En une vingtaine d’années, ETHS aura marqué les esprits de ce qu’on peut appeler la « grande famille du metal français » : cette bande d’amis originaire de Marseille, qui chantait et hurlait en français des paroles imprégnées d’atmosphères aussi poétiques que malsaines sur un fond de guitares lourdes et de rythmes souvent déstabilisants, aura été amenée à parcourir le globe et à se construire une notoriété qui a rendu fière la cité phocéenne, mais aussi, l’Hexagone tout entier – n’en déplaise à ceux qui avaient du mal à cerner ou définir leur style unique…
Deux ans après avoir clos ce riche chapitre, Staif Bihl, guitariste et créateur de la formation, a décidé de surfer sur des eaux bien différentes mais tout aussi dignes d’intérêt, avec son premier projet solo électro / synthwave 6S9 (nom que les fans purs et durs connaissent déjà depuis la sortie de « Samantha » en 2002… On vous renvoie à la lecture des crédits, dans le livret !), et dont le premier EP, « As Above So Below », sort demain ! On avait donc hâte de pouvoir en parler plus en profondeur avec le principal intéressé…
T’es-tu senti obligé d’attendre la fin d’ETHS pour sortir ce projet ?
Staif – Oui, dans le sens où le groupe a vraiment fait partie de ma vie pendant vingt ans. Ce n’était donc pas facile d’arrêter comme ça. Je l’ai presque ressenti comme un décès : sur le moment, on fait face et on se dit qu’on gère, mais au bout de six mois, ça commence à devenir plus intense…
Voilà pourquoi il a fallu du temps. En plus, je ne savais pas exactement dans quoi je voulais me lancer. Pendant deux ans, j’ai composé des morceaux dans des tonnes de styles, car j’ai maintenant la liberté de bosser sur plusieurs choses en même temps. J’ai même des projets acoustiques, et cela me plairait énormément de travailler avec des musiciens traditionnels ! À terme, j’espère bien faire aboutir le projet, à la manière de DEAD CAN DANCE qui mêlait plein d’influences différentes…
Penses-tu qu’il soit facile de sortir quelque chose qui n’a rien à voir avec le metal quand on fait partie de cette scène, ou est-ce plus difficile qu’il n’y parait d’acquérir cette légitimité ?
Un peu des deux. Cela explique aussi le délai : les tous premiers titres solos que j’ai composés étaient à l’extrême opposé de tout ce que j’avais fait avec ETHS. En gros, vingt ans de metal, ça m’a suffi ! (Rires) On a fait plein de choses, on a beaucoup tourné, et j’en ai profité à fond, mais je ne retrouvais plus autant de plaisir qu’avant… De ne plus avoir mes compagnons avec moi, ça m’a mis un coup.
Mais je pense que j’en avais besoin : il a fallu que je me retrouve vraiment tout seul pour assumer, que j’apprenne à me dissocier d’ETHS. Je me définissais par rapport à ça depuis mes 15 ans, le jour où j’ai pris une gratte et que j’ai branché Greg (Rouvière) et Candice (Clot) pour monter un groupe ! (Rires) Aujourd’hui, je ne me mets aucune limite. Je suis même volontairement sorti de cette démarche : pour ETHS, vers la fin, j’avais l’impression de me freiner moi-même, dans le sens où il fallait absolument que ce soit metal. Malgré tout, les grosses guitares, ça me plait ! (Rires) C’est pour ça qu’on en trouve quand même sur l’EP.
En plus des différentes ambiances assez sombres, c’est justement la présence des guitares qui rend le projet plus facilement acceptable par les metalleux…
C’est ça, même si j’ai arrêté d’écouter l’opinion publique ou de me soucier des étiquettes. Je l’ai bien constaté avec ETHS : quoiqu’on ait fait, il y avait toujours des gens pour nous cracher dessus… (Rires) Pour beaucoup, même, on n’était pas vraiment considéré comme du metal. Dès lors qu’on a été chroniqués dans des magazines, on nous a accolé une étiquette de « neo pour les jeunes »… Pourtant, quand tu regardes les textes de « III » (2012) (lire notre chronique), c’est tout, sauf ciblé pour les jeunes ! (Rires) Mais on ne va pas s’en plaindre, parce qu’on a eu du succès un peu aussi grâce à cette étiquette…
En un mot, je peux partager 6S9 avec la scène metal et la fanbase de ETHS grâce aux éléments communs. Ça ne sera pas le cas d’un autre projet sur lequel je travaille beaucoup en ce moment, car il ne s’adresse pas du tout à des metalleux ! Ça me desservirait plus qu’autre chose, et je préfère le sortir de manière anonyme, avec un pseudonyme. Au moins, je repars à zéro, et c’est ça qui est vachement cool aussi ! (Rires)
En revanche, aimer la musique électronique et en produire, c’est deux choses différentes. En bon metalleux, je pensais que c’était très simple, mais parvenir à faire un truc qui groove, qui donne envie de danser et qui accroche, ce n’est pas si facile que ça…
Pourquoi le choix de l’anglais pour tes paroles après avoir toujours travaillé en français ?
Il y a une volonté évidente de toucher à l’international avec ce projet. J’ai toujours mes ambitions, elles sont même reboostées ! Je voulais aussi changer un peu. J’ai longtemps écrit en français, et je pense que ma voix sur ces titres avec des paroles en français fera forcément penser à du ETHS…
Et à l’inverse, pourquoi le français avait été choisi pour ETHS à l’origine ?
Pour aller à contre-courant ! À l’époque, tous les groupes français chantaient en anglais, et nous, on trouvait ça nul de ne pas assumer la langue, qu’on adorait. Pour tout dire, nous-mêmes étions partis sur de l’anglais : le titre Pourquoi s’intitulait Why au début ! (Rires) C’est Guillaume (Dupré), quand on l’a recruté, qui a eu la super idée de nous pousser à chanter en français. Du coup, c’est devenu notre marque de fabrique.
À chaque fois qu’on a tenté des versions en anglais, notamment sur « III », on n’a pas pris de plaisir, et traduire nos textes nous a vraiment emmerdés ! En plus, les gens n’ont pas vraiment adhéré. Quand on a joué au Brésil, les fans nous disaient que la langue française était quelque chose de classe pour eux : quand ils pensent à cette langue, ils voient Baudelaire, Voltaire…
Je n’exclue pas la possibilité d’écrire de nouveau en français plus tard, mais plus en mode « slam », car j’aime beaucoup l’aspect poétique, ce que j’ai un peu exploité sur « Ankaa » (2016). Mais pour le moment, je reste sur l’anglais, également pour le côté « catchy ».
Avec le recul, quels sont pour toi les meilleurs moments de ton temps avec ETHS ?
Le tout début ! On était très jeunes, on jouait dans des petits bars, et je me demande si ce n’est pas là où tu es le plus heureux, dans la mesure où il n’y a pas vraiment d’attente, et tu es gonflé à bloc. En plus, quand il n’y a pas le succès, il y a plus d’honnêteté. Mais après, les vautours commencent à te tourner autour… N’importe quel autre groupe qui connait un peu de succès te répondra la même chose ! (Rires)
Les années « Samantha » / « Soma » (2004) ont été très profitables aussi, mais j’ai vécu un drame personnel à cette époque-là. C’était très paradoxal : je commençais à avoir du succès avec le groupe, mais ma vie personnelle avait volé en éclats. Je n’arrivais pas à apprécier ce qui nous arrivait, sauf quand j’étais sur scène.
Néanmoins, l’un des meilleurs souvenirs reste la tournée en Amérique Latine, pour la promo de « Tératologie » (2007). C’était juste la folie : les fans nous attendaient devant l’hôtel, on avait vraiment l’impression d’être des rock stars ! (Rires) Les gens étaient adorables. On a eu un choc culturel assez fou, et c’est aussi ça qui me donne envie d’exporter 6S9.
ETHS en 2011
Quelles ont été tes principales inspirations pour 6S9 ?
Ça reste les mêmes qu’avant : j’ai toujours été fan des BO d’Hans Zimmer, des films de David Lynch, ou DEAD CAN DANCE, comme je le disais tout à l’heure… Pour ce qui est des influences purement électro, c’est venu sur le tard. Je n’en écoutais pas du tout, mais j’ai des potes reconnus dans la scène qui ont adoré mes nouvelles compos’ : c’était plus bourrin, mais je n’étais pas convaincu à 100% de leur potentiel. Eux m’ont vraiment poussé à écouter ce style, et notamment des artistes comme CARPENTER BRUT. Ils étaient sûrs que ça allait me plaire et qu’il fallait que ma reconversion se fasse dans ce sens… Et je ne regrette pas ! J’ai vraiment pris beaucoup de plaisir à faire ce disque. Encore une fois, j’avais presque une aversion envers le metal, et je voulais faire tout sauf ça ! (Rires)
Est-ce que tu as profité de ce renouveau pour t’entourer de nouvelles personnes ?
Nicolas Sénégas, qui a fait l’artwork, fait partie de ceux qui sont restés : il travaille avec moi depuis la pochette de « III ». C’est vraiment devenu un ami, et je suis fan de son travail. Je lui ai envoyé mon idée pour la pochette de « As Above So Below » et il m’a renvoyé son travail une heure plus tard, avec exactement le résultat attendu !
Pour les featuring, je suis allé chercher des gens que je ne connaissais pas toujours. J’avais envie de sortir de ce que j’avais déjà fait par le passé. Bien sûr, il y a eu des gens qui espéraient un duo avec Candice… Mais je n’arrête pas ETHS pour refaire la même chose ! (Rires) Ça arrivera peut-être, mais il faudrait déjà qu’elle soit d’accord, car elle ne fait plus du tout de musique. Les deux concerts qu’on a donnés en 2017 étaient vraiment particuliers et exceptionnels… (lire notre reportage du concert à Marseille).
Tu savais donc dès le départ qu’il y aurait un certain nombre d’invités, en dépit du fait que ce soit un projet solo ?
Exactement. Même si je suis satisfait de ma manière de chanter, le fait d’inclure uniquement ma voix dans l’EP aurait manqué de peps. Et puis, je connais tellement de super chanteurs que je trouvais ça dommage de ne pas travailler avec eux. En plus, j’avais besoin d’autres visions que la mienne.
Je connais Amalia (Piovoso) depuis plusieurs années. Pour une raison que j’ignore, on n’a jamais réussi à travailler ensemble. Là, c’était l’occasion ! En ce qui concerne Boots (de ZE GRAN ZEFT), on a un ami en commun qui nous voyait vraiment collaborer sur quelque chose.
Pour LES TAMBOURS DU BRONX, je les avais déjà en tête quand j’ai écrit Uprising. Je m’étais dit que ça serait tellement énorme de faire un feat avec eux ! J’ai d’abord demandé à Franky (Costanza) s’il était intéressé pour participer. On s’est déjà croisés un paquet de fois parce qu’il est de Marseille aussi. Mais il a gentiment décliné, parce que ce n’est vraiment pas son truc ! (Rires) En revanche, il en a parlé aux TAMBOURS, car il travaille avec eux et il savait qu’ils seraient potentiellement partants. Et c’était le cas !
Renato (Di Folco) est vraiment venu sur la fin : je le suivais sur Facebook, j’aimais beaucoup ce qu’il partageait… En plus, je voyais qu’il travaillait avec LES TAMBOURS. Je n’ai pas été déçu : il m’a renvoyé le morceau avec sa voix au bout d’un jour, et j’ai été bluffé ! J’ai conservé l’intégralité de ses enregistrements, alors que ce n’était que le premier jet… (Rires)
Je souhaitais aussi garder ce côté spontané que j’avais perdu avec ETHS : à la fin, tout était trop calculé ou anticipé… Quand je me suis moi-même rendu en studio pour enregistrer l’EP, je n’avais encore écrit aucune parole et aucun riff, j’ai tout fait sur place ! Je ne m’étais plus autant amusé depuis très longtemps.
Comment s’est passé le développement du clip de Midnight Run ?
C’est Loïc, de Gomor Prod, qui l’a réalisé. Il a super bossé, et il a fait preuve de beaucoup de patience, étant donné le nombre conséquent de plans… En tout, ça lui a pris trois mois pour finaliser le clip avec les moyens du bord. Il fait d’ailleurs partie des nouvelles personnes à travailler avec moi.
On a également Olivia, que je remercie au passage. Elle est aussi Marseillaise, et on a pu également la voir dans le clip de Nihil Sine Causa !
Pourquoi centrer le clip sur cette chorégraphie, et dans ce lieu en particulier ?
C’est mon petit coin secret ! (Rires) Il se situe entre Marseille et Toulon, et je vais m’y promener très souvent. Une fois de plus, je voulais aller à contre-courant de tous les clips metal, notamment en proposant quelque chose de lumineux et onirique. À première vue, le titre du morceau peut être interprété comme quelque chose de lugubre, alors qu’en s’attardant sur les paroles, on comprend qu’il s’agit en réalité de s’extraire de l’obscurité. Il m’est difficile d’expliquer pourquoi je suis parti sur cette idée… C’est plus par intuition, en fonction des gens que tu rencontres, comme pour l’enregistrement du CD. Et puis, on évolue tous : je vais sur mes 40 ans, je n’ai plus envie de transmettre les mêmes idées que quand j’en avais 20… (Rires)
Quelle serait la prochaine étape pour ce projet ?
Avant tout, je veux faire du live ! Ça se fera en plusieurs étapes : je prévois d’abord de faire des « DJ sets » pour pouvoir jouer un peu partout. Ça va aller de la synthwave à du PRODIGY, avec de gros « beats » qui donnent envie de danser. Je prévois aussi un set live 100% 6S9 qui contiendrait des titres inédits, et où je serais sur scène avec ma guitare. Ça risque d’être un peu plus long à mettre en place, mais il permettra aussi de jouer un peu partout. Enfin, il y aura une version « groupe », à l’instar de NINE INCH NAILS, et pour lequel je recruterais des musiciens…
Il s’agira de musiciens ayant participé à l’EP ?
On n’en a pas encore parlé. Mais si on arrivait à organiser une tournée avec les guests et leurs groupes, ça donnerait un plateau de fou !