Les yeux piquent un peu en ce dimanche matin, la faute certainement au soleil voilé qui chauffe le festival. Le programme de la journée s’annonce fort intéressant, et plutôt varié. On commence sur la Mainstage avec HELL BOULEVARD, un groupe venu de Suisse avec son frontman Matteo Fabiani, auparavant leader de LOST AREA mais également réalisateur de clips pour de nombreux groupes allemands. Le terme gothic rock définit parfaitement le style musical que les Suisses développent sur scène. Le chanteur occupe particulièrement bien l’espace, sa voix grave se pose dans tous les registres. Il passe du très rock Zero fucks given , au plus mélodieux Dead Valentine avec l’aisance vocale qui nous bluffe chez tant de groupes allemands, y compris sur une cover inattendue de Baby One More Time de Britney Spears. Le public est déjà à fond malgré l’heure matinale, encouragé par le groupe qui fait partager son bonheur d’être à l’Amphi. Le set sera bien sûr trop court, mais on surveillera de près la sortie de l’album In Black We Trust prévu pour septembre, suivi de quelques dates hélas en Allemagne. En attendant le groupe suivant, une petite visite côté merchandising s’impose. Outre les stands repartis dans les allées, un chapiteau abrite de nombreux exposants, peut-être moins connus, mais tout aussi intéressants. CD, vêtements gothiques, rock, steampunk, militaires, mais aussi accessoires, sous-vêtements, coiffes, objets de décoration, il y en a pour tous les goûts. Les tarifs ne sont pas forcément très attractifs, mais les modèles sont souvent uniques.
Hell boulevard
Mais assez traîné, le public est au taquet devant la scène, impatient d’en découdre avec l’un des groupes les plus emblématique de la scène NDH (comprenez Neue Deutsche Härte, nouveau son allemand). Avec leur visuel gore bien reconnaissable sur scène : tenues sanguinolentes, make-up morbide, masques steampunk horrifiques, couteau de boucher… OST+FRONT est un groupe qu’il faut prendre au second voire troisième degré, tant ils se servent de références militaires et violentes pour provoquer. Les paroles elles-mêmes, souvent censurées, sont crues et agressives. En voyant le plastron ensanglanté du chanteur et son maquillage cadavérique, on ne peut s’empêcher de penser à Till Lindemann et ses performances scéniques sur Mein Teil, jusqu’à sa voix dont on sent bien les influences « rammsteiniennes » malgré moins de puissances. Des personnages secondaires, Elsa Edelweiss au look ambigu et sombrero surdimensionné, une infirmière inquiétante, une dominatrice sexy, étoffent le groupe sur de nombreux titres. Les fans s’époumonent dès le début du set sur Fiesta de Sexo (pas besoin de sous-titres), motivés par le chanteur, singulièrement sympathique malgré son accoutrement. Mensch et Heavy Metal maintiennent la pression dans le public. Les rythmes sont remarquables, à la fois martiaux avec une ligne mélodique indéniable. Au final, sous le lâcher de ballons noirs qui annonce la fin des hostilités, on reste quand même scotché par la performance scénique, c’est le plus intéressant des concerts, visuellement parlant jusqu’à maintenant.
The Beauty of Gemina
A peine le temps de récupérer de nos émotions que les Suisses de THE BEAUTY OF GEMINA se présentent devant le public. A priori on pourrait penser que l’ambiance va être beaucoup plus sereine, et bien il n’en sera rien ! Leur rock électronique faisait parfois penser à du Placebo, bien balancé et rythmé, servi par la voix impeccable du chanteur Michael Sele à la chevelure blanche caractéristique va continuer à enflammer les Tanzbrunnen. Les musiciens ne sont pas très démonstratifs sur scène mais ils enchaînent les morceaux avec un bel enthousiasme. Leurs mélodies sont une invitation au voyage : de This time à Hunters, le temps semble glisser sur le Festival. C’est une atmosphère complètement différente mais qui se prête tout à fait à ce début d’après-midi ensoleillé. Il est maintenant l’heure de vérifier si un jeune groupe allemand que nous avions découvert il y a quelque temps et dont c’est la toute première prestation à l’Amphi va tenir ses promesses. A en juger par la foule qui se presse dans le Theater, leur réputation est déjà bien établie. Fondé en 2016 par le guitariste de STAHLMANN, Frank Herzig, SCHATTENMANN a assuré les premières parties de groupes tels que MEGAHERZ ou FEUERSCHWANZ. De quoi se constituer un beau réservoir de fans ! Dès le premier titre on sait qu’on ne sera pas déçu : on retrouve ici leurs effets fluo verts sur le visage et sur le corps ainsi que sur les instruments. Là encore la voix est irréprochable, sur des rythmiques qui louchent du côté NDH avec un côté electro/pop parfois. Generation Sex, Amok, ou encore Licht an, autant de titres qui recueillent les acclamations du public. Energie, générosité, talent : juste trois mots pour définir les jeunes Allemands. Le set file comme l’éclair, on sent bien que le public n’est pas prêt à les laisser partir… Et pourtant ! Dans une salle désormais pleine comme un œuf, tout le monde attend l’arrivée de COMA ALLIANCE. Side project de Torben Wendt (DIORAMA) et Adrian Hates (DIARY OF DREAMS ), le groupe livre ici sa toute première prestation live dans un festival. Malgré notre impatience, nous nous inquiétons du niveau sonore, bien trop élevé comme la veille. La salle est plus conçue pour le clubbing que pour les concerts, çà ne fait aucun doute. Espérons que çà ne gâchera pas le plaisir de découvrir ces deux complices de toujours dans leur projet commun. Difficile de décrire la vague d’excitation qui soulève la foule à l’entrée des deux hommes sur scène, mais on est brusquement confronté à la résistance des barrières ! Tout au long du show les deux artistes accompagnés par un troisième musicien à la guitare, alterneront chant, guitare (pour Adrian Hates) et clavier (pour Torben Wendt). Ils sont tout à leur bonheur d’être ensemble devant leur public, et ce plaisir est communicatif. La voix plus grave du chanteur de Diary répond à l’énergie débordante de son comparse, véritable Zébulon qui saute partout sur scène. Les lumières très variées suivent les déplacements des deux hommes, le volume sonore est supportable bien que les basses prennent beaucoup de place. Pour le coup on ne maîtrise pas trop des titres interprétés mais il nous semble reconnaître CA2 , parfaite illustration de la complémentarité des deux voix, et puis Her Liquid Arms sur lequel Torben Wendt au micro fait le show, plus groovy que jamais. Par contre pas de doute pour Butterfly Dance, le public et les musiciens en ont presque les larmes aux yeux, tant ce titre de DIARY OF DREAMS est devenu un symbole. Le set s’achève dans un tonnerre d’applaudissements qui se prolongent longuement : les musiciens s’étreignent, l’émotion est à son comble d’avoir reçu un tel accueil.
Coma Alliance
Lorsque s’approchent de la scène des spectateurs en tenue médievale ou viking, cornes à la main, pas besoin d’être devin pour comprendre que FEUERSCHWANZ est dans les parages. Ce groupe, hyper festif, draine derrière lui depuis quelques années déjà un public enthousiaste, prêt à chanter et danser sur les chansons épiques et paillardes inspirées du folklore moyennâgeux teuton. Notre allemand n’étant pas à la hauteur pour apprécier les plaisanteries et anecdotes racontées par le chanteur Hauptmann Feuerschwanz, nous nous contenterons donc de profiter du spectacle et de la musique. Spectacle qui aurait du être proposé en extérieur à notre avis, car dans une salle le groupe n’est pas forcément à son aise pour évoluer, surtout lorsque une gigantesque massue fait son apparition au bras du leader ! Pour autant pas besoin d’être bilingue pour comprendre les Hörchen Hoch scandés par le public, geste à l’appui. Tout le monde lève, qui sa corne, qui son verre, et c’est parti pour une danse endiablée ! La présence coquine des Mieze (ou minettes, en tout cas de charmantes jeunes femmes court vêtues) est fort appréciée du public masculin, tandis que la gente féminine n’a d’yeux que pour le Prinz Richard Hodenherz, second chanteur et flûtiste du groupe. On remarque aussi la belle violoncelliste qui virevolte sur scène et donne la cadence, notamment sur Schubsetanz, entraînant avec elle le public.
Feuerschwanz
De retour à l’extérieur (merci pour nos oreilles) et mûs par la curiosité nous tentons une incursion du côté des sessions d’autographes proposées tout au long du week-end par la plupart des groupes. Quelques mots surpris au vol nous confirment que la France n’est pas très loin. On a en effet pu croiser de nombreux francophones (les Belges ne sont pas en reste d’ailleurs) lors du week-end. Une très longue file d’attente et un rapide coup d’oeil nous apprennent que les musiciens de WELLE : ERDBALL, à peine descendus de la Mainstage, sont en train de se plier à l’exercice des autographes. Dommage d’avoir raté leur prestation scénique, toujours très dansante, mais entre l’Amphi Festival et le M’era Luna, ils font parti de ces groupes que l’on voit quasiment tous les ans… ce qui n’est pas le cas de PROJECT PITCHFORK. La formation de Hambourg, avec son leader Peter Spilles au look d’éternel adolescent dark wave, compte aujourd’hui deux batteurs, dont Achim Färber (EISBRECHER), et deux clavieristes qui assurent également les parties vocales. Pas de vraie concurrence pour les musiciens car en même temps se produisent sur l’Orbit Stage RABIA SORDA (le groupe allemand de Erk Aicrag, le leader de HOCICO), et JANUS, une formation de rock électronique allemand. Du coup la foule est impressionnante pour profiter du dark wave/electro de PROJECT PICHTFORK. Comment ne pas être sous le charme de cette ambiance un peu planante, éclairée par le soleil couchant qui nimbe d’une couleur or les visages souriants des festivaliers. On se laisse porter par les rythmes electro martelés par le groupe, impossible de ne pas danser et sauter sur place. Tous les succès sont sur la setlist, à commencer par Timekiller , Conjure et surtout le fabuleux Rain avec les images du clip projetées au fond de la scène. La soirée tire à sa fin, et il nous faut maintenant choisir entre NACHTMAHR, DAS ICH, et IN EXTREMO pour conclure ce festival. Les spectateurs semblent décider à ne pas bouger et à assister au concert des vieux briscards du folk metal allemand. Pourtant c’est un groupe qui divise les amateurs du genre, avec ses partisans et ses détracteurs qui eux ne jurent que par SALTATIO MORTIS… mais bon ce sont là des querelles germano-allemandes qui nous laissent perplexes. Moins grandiose que le spectacle offert il y a 4 ans au M’era Luna, malgré des installations pyrotechniques dans le pit, le dernier show de la soirée laissera une impression mitigée, des problèmes de son gâchant la fête. Les musiciens d’IN EXTREMO semblent avoir pris un coup de vieux et l’énergie qui les habitait il y a encore quelques années leur fait défaut ce soir. Pour autant, les morceaux cultes fonctionnent toujours : Vollmond et son imposant harpiste Dr Pymonte, Lieb Vaterland, magst ruhig sein, au refrain scandé d’une seule voix par le public, Herr Mannelig sur lequel on ne voit qu’une marée de bras levés ou encore Himmel und Hölle. La soirée s’achève tranquillement côté Mainstage, espérons que sur les autres scènes la folie soit un peu plus au rendez-vous. Les Tanzbrunnen se vident doucement, c’en est fini de l’Amphi 2019.
In Extremo
Il est l’heure de faire le bilan de ces deux jours de festival au bord du Rhin. Cette édition 2019 nous laisse un peu sur notre faim ; certes il y eut de bons moments, on retiendra notamment les concerts de LORD OF THE LOST , COMA ALLIANCE, OST+FRONT, PROJECT PITCHFORK, mais le line-up gagnerait à se renouveler davantage. La scène dark allemande possède suffisamment de groupes de talent pour laisser la place à une autre programmation, en l’ouvrant pourquoi pas à d’autres artistes européens. Les problèmes techniques, notamment niveau son sur la Mainstage ont été récurrents, le réglage des micros posant visiblement souci. Ne parlons même pas du volume sonore dans le Theater, la régie son située en hauteur explique peut-être la difficulté à offrir une qualité correcte au public. Les Tanzbrunnen restent toujours un lieu magique, avec les allées où l’on peut circuler tranquillement, et l’esprit familial et bienveillant des Allemands. Le service sécurité n’aura d’ailleurs rien eu à faire au cours de ce week-end, et côté propreté nos voisins peuvent nous donner des leçons de savoir-vivre. L’Amphi-Festival sera toujours la référence des festivals gothiques, un festival à taille humaine, où l’on aimerait toutefois un peu plus de nouveauté.
Texte : Laurence Prud’homme
Photos : Manon Nadolny