S’il y a bien des musiciens que METAL FRANCE MAGAZINE souhaite voir atteindre des sommets, ce sont les trois têtes pensantes du projet de metal symphonique technique DARK HORSE WHITE HORSE, composé de Jord Otto et Ruben Wijga (guitariste et claviériste ayant fait leurs armes chez REVAMP de 2010 à 2016), ainsi que Marcela Bovio qui, en plus de sa carrière solo, est connue pour avoir prêté sa voix puissante et versatile à STREAM OF PASSION, AYREON et, plus récemment, MAYAN.
C’est avec plaisir que nous avons repris contact avec la chanteuse (deux ans après notre premier entretien en face à face, à Eindhoven), à quelques semaines de la sortie du premier EP éponyme, dont le caractère bien trempé en surprendra plus d’un… En selle, donc !
L’EP semble déverser un flot de colère, voire une certaine frustration. Comment expliques-tu cela ?
J’ai écrit la majeure partie des paroles en 2018, lors d’une période assez difficile et pendant laquelle j’ai pu tomber dans des phases de dépression… Les paroles sont donc extrêmement sombres.
En ce qui concerne Jord et Ruben, c’est juste leur colère habituelle qui s’exprime… (Rires) Plus sérieusement, ils adorent tout ce qui est très technique et agressif. En ce sens, on s’est bien trouvés : c’était le moment idéal pour travailler ensemble.
Qu’est-ce qui vous a fait réaliser que vous souhaitiez vous associer et créer DARK HORSE WHITE HORSE ?
Je me rappelle très bien ce moment : je venais tout juste de quitter VUUR (groupe fondé à l’initiative de la chanteuse Anneke van Giersbergen et auquel Jord Otto a participé, ndlr). J’ai croisé Jord car on l’avait appelé pour remplacer Merel (Bechtold, ndlr) à l’occasion d’un concert de MAYAN. En coulisses, on a pas mal discuté de VUUR : il me disait à quel point il trouvait dommage que je ne sois plus de la partie. On a fini par relater nos expériences communes avec les groupes qui se séparent, les projets qui s’arrêtent… C’est là qu’il m’a dit que Ruben et lui avaient commencé à écrire ensemble. Suite à quoi, Jord m’a fait un peu écouter ce qu’ils faisaient, et j’ai adoré ! Très vite, il m’a proposé de les rejoindre, et je n’ai donc pas hésité longtemps.
Dark Horse White Horse en compagnie du producteur Joost van den Broek, en 2019 (photo : inconnu)
Penses-tu que certaines compos’ étaient destinées à REVAMP, étant donné que Ruben et Jord faisaient tout deux partie du groupe ?
Je pense que c’était le cas pour certaines idées initiales, avant qu’on commence à collaborer et qu’on emprunte une voie un peu différente. Mais il est clair qu’on reconnait l’atmosphère de REVAMP ici et là.
Selon toi, qu’est-ce qui fait de votre trio l’association idéale ?
Je dirais qu’on est des « geeks » de première ! (Rires) Dans le sens le plus noble du terme, bien sûr : on est tous les trois passionnés par nos instruments et nos compétences. C’est en cela qu’on se rejoint totalement, même si on a un passif musical un peu différent.
Dirais-tu que ce projet est celui dans lequel tu as eu le moins de limites stylistiquement parlant ?
Pour moi, c’est davantage mon projet solo qui me donne toutes les libertés possibles, dans la mesure où c’est moi qui détermine tout de A à Z. Ceci étant dit, même si je n’aime pas en faire des caisses vocalement parlant parce que je préfère me mettre au service de la musique, avec DHWH, j’ai eu envie de montrer aux gens ce dont j’étais capable, ce qui n’était pas possible dans mes autres projets. Je souhaitais vraiment relever le défi à fond. Et côté lignes de chant, je dois me creuser la tête pour les composer !
Des morceaux tels que Cursed et Get Out contiennent des éléments expérimentaux, de l’electro… Trouver une telle liberté stylistique dans un premier EP nous fait nous demander à quoi va ressembler le premier album !
Si le projet représente le mélange ultime de nos influences, on a un peu dévié de cela, car on tenait à intégrer des passages très dissonants et complexes. Pour moi, qui adore les passages accessibles, il était important de ne pas non plus proposer que du bruit ! Mais j’apprécie le fait qu’on ait incorporé ces éléments à la IGORRR…
Cela ne t’a pas incité à chanter en guttural, du coup ?
C’est que je ne parviens jamais à raconter une histoire qui m’est personnelle avec des grunts… Il ne faut jamais dire jamais, mais jusqu’à présent, je n’en ai jamais ressenti le besoin, et je ne veux pas me forcer. Dans un projet auquel j’ai récemment participé, on me les a réclamés, même si je ne sais pas encore s’ils seront conservés. Mais une fois de plus, ce n’est pas moi qui ai mis ça sur le tapis !
On constate néanmoins un chant beaucoup plus rugueux de ta part tout au long de l’EP, ce qui est assez inhabituel…
Oui, je savais que j’allais m’adapter d’une manière ou d’une autre à la violence de la musique, donc on a effectivement ce chant puissant et aigu, avec un peu de distorsion ! Heureusement, mes voisins sont compréhensifs. En tout cas, je n’ai pas reçu de plainte officielle à ce jour… (Rires)
Penses-tu avoir découvert une nouvelle facette de toi-même avec l’enregistrement de cet EP ?
Même si ça fait un moment que je me penche sur toutes ces techniques vocales, cette expérience m’a beaucoup appris. J’ai dû m’entraîner énormément pour en arriver là !
Psychologiquement parlant, j’imagine que j’ai été satisfaite de prendre les rênes sur une musique aussi violente, même si MAYAN m’avait déjà permise d’évoluer dans cette atmosphère. Je m’attends à ce qu’on ne nous trouve pas assez heavy, mais c’est aussi ça qui est intéressant. Dans tous les cas, on n’a pas été prévisibles !
Dans votre dernière vidéo, pour le moment accessible pour les abonnés à votre newsletter uniquement, tu interprètes le titre Get Out en « live », de façon plutôt aisée. Même si ça ne se voit pas, as-tu néanmoins rencontré des difficultés pendant l’enregistrement ?
Comme je le disais, je me suis beaucoup entraînée pour que ça ait l’air « aisé » ! Petit à petit, j’y arrive… D’ailleurs, je préfère cette version à celle de l’EP, même si je pense que j’aurais pu faire encore mieux. Bien sûr, l’avantage avec les démos et la version studio, c’est que tu peux multiplier les prises et conserver le meilleur dans chacune d’elles.
Au moment de l’enregistrement, j’étais en pleine chimiothérapie. Comme je craignais que le traitement affecte ma voix sur le long terme, j’ai préféré m’y atteler tout de suite. Heureusement, ma voix n’a pas changé, mais il n’empêche que je n’avais pas autant d’énergie que d’habitude, et j’ai vraiment dû prendre mon temps pour chaque morceau, là où un jour seulement aurait suffi pour tout boucler en temps normal.
Pourquoi sortir un EP plutôt qu’un album ?
Même si on a commencé à travailler sur le projet il y a longtemps, il s’est passé tout un tas de choses par la suite. J’ai dit à Jord et Ruben que je me sentais plus d’attaque pour sortir un EP plutôt que de passer par toutes les étapes de création d’un album. En plus, cela nous permettait d’avoir des retours plus rapidement sur des titres composés pas si longtemps aupavarant. Et puis, ça semble être la tendance du moment.
Cela me plairait beaucoup de continuer à travailler de la sorte, en produisant moins d’un coup, mais de façon plus régulière.
Tu t’es occupée du visuel de l’EP, et je tenais à te féliciter, car le rendu final est superbe !
Merci ! Je précise que le logo n’est pas de moi, mais il est vrai que je suis touche-à-tout ! Je commence à accumuler de l’expérience dans la réalisation de mes albums, et ça me plaît beaucoup…
En parlant de « touche-à-tout », Jord a démontré sur les réseaux un talent inattendu pour la peinture et la photographie depuis le début de la pandémie… À vous trois, vous cochez pas mal de cases.
Jord ne cesse jamais de m’épater : en une année seulement, il a atteint un niveau considérable en photographie, mais il ne s’est pas arrêté en si bon chemin, puisqu’il s’est ensuite lancé dans la peinture. Désormais, ses tableaux ressemblent à des Rembrandt, rien que ça… Le talent de certaines personnes est juste incroyable ! (Rires)
En 2019, lors d’une interview, Einar Solberg de LEPROUS nous avait dit perdre patience lorsqu’il enseigne le chant à des débutants. En tant que professeur de chant, peux-tu t’identifier à cette frustration ?
Cela ne me dérange pas, dans la mesure où la personne me garantit qu’elle va se démener pour progresser. Le souci, c’est quand les élèves ne fournissent pas le travail requis ! En plus, quelqu’un qui ne s’exerce pas ne pourra pas faire illusion – je le remarquerai forcément. Personnellement, je ne me considère pas comme quelqu’un ayant un talent inné, mais plutôt comme le produit d’un travail acharné. J’ai bien conscience que certains ont plus de facilité que d’autres dans le domaine, mais quelqu’un qui bosse son chant va forcément progresser. J’ai même enseigné à des chanteurs aguerris qui ne s’entraînent pas, et c’est la même chose… Je ne supporte pas la paresse ! (Rires)
Ces dernières années, tu t’es mis au piano et à la guitare, et tu sembles d’ores et déjà très à l’aise dans la pratique de ces instruments. Quel est ton secret pour progresser autant et aussi vite ?
Il est important de se fixer de petits objectifs, de préférence avec une « deadline ». De mon côté, j’avais l’avantage de disposer de pas mal de temps, entre la pandémie et mon rétablissement. Pour la guitare, j’ai d’abord dû maîtriser les accords, puis le passage d’un accord à un autre. C’était mon objectif premier, avant de m’autoriser à mettre en ligne des vidéos de moi en train de jouer et de chanter en simultané. Franchir ces petites étapes devient alors très gratifiant et te motivera à passer à la suite !
À choisir, penses-tu qu’il est préférable pour un groupe de toujours rester fidèle à son identité première dans ses compos’, ou bien d’écrire au gré de ses envies et influences favorites du moment, au risque de s’éloigner des origines ?
(Réfléchit longuement) Mon avis sera très différent si je m’exprime en tant que musicienne ou en tant que fan.
La musicienne aura tendance à penser que les artistes doivent faire absolument ce qu’ils veulent. J’ai été confrontée à cette problématique dans STREAM OF PASSION, où je souhaitais emprunter une voie qui ne collait pas exactement au concept originel du groupe, et je me suis sentie complètement bridée.
D’un autre côté, la fan en moi souhaite que l’essence première d’un groupe soit respectée. Donc c’est difficile à dire…
Pour terminer, peux-tu nous dire si DHWH a prévu une « release party » en ligne, comme ça a été le cas de beaucoup d’artistes ces derniers temps ?
Pas pour le moment, ça serait compliqué à mettre en place : déjà, Ruben vit en Norvège ; et même si Jord habite comme moi aux Pays-Bas, il n’est pas non plus la porte à côté. Nous avons quand même prévu un petit rassemblement en ligne le jour de la sortie avec des fans ayant contribué au « crowdfunding » !
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Photos (hormis quand spécifié) : Emilie Garcin