LACUNA COIL fait partie de ces formations dont la longévité est la conséquence n°1 d’une cohésion forte entre les membres fondateurs. Les Italiens font leur bout de chemin en restant visiblement sincères quant à leurs aspirations et leur rapport à la musique.
Et ce n’est clairement pas notre rencontre avec l’emblématique Cristina Scabbia qui nous fera penser le contraire : le naturel et la spontanéité de la chanteuse à la ville n’a d’égal que sa noirceur et son jeu passionné sur scène, et même si on adhère complètement à cette sombre identité, force est de constater que la Cristina qui s’est entretenue avec nous pour parler du neuvième album « Black Anima » (dispo le 11 octobre) avait tout pour attirer notre sympathie !
Ta façon de varier ton chant est plus étudiée que jamais dans « Black Anima », et ce, dès le titre d’ouverture Anima Nera, où on te reconnait à peine. Au contraire, sur Now Or Never, ta voix est beaucoup plus agressive. Comment expliques-tu une telle diversité ?
Au départ, Anima Nera était censé être une introduction instrumentale. Après avoir reçu la musique de la part de Marco, j’ai mis 10 minutes à écrire la ligne de chant et les paroles. Je lui ai renvoyé le tout, et il m’a écrit sur WhatsApp pour me dire : « Putain, tu me gonfles ! Maintenant on va devoir la garder telle quelle, elle est géniale comme ça ! ». Il a aimé mon interprétation et le fait que j’aie l’air d’une fillette diabolique ! Ça nous a aussi rappelés la BO des vieux films d’horreur italiens, comme ceux de Dario Argento…
Je me suis simplement imprégnée de l’atmosphère des morceaux. C’est le cas aussi pour Reckless (vidéoclip à retrouver en bas de l’article, ndlr), ou encore Veneficium avec les parties en latin : le titre en lui-même requerrait ce type de lignes vocales. Ce n’était pas quelque chose qu’on a ajouté consciemment. J’y ai moi-même joué un rôle, sans m’en rendre compte, et je suis très fière d’avoir pu expérimenter de la sorte.
Y-a-t-il des idées ou des sons que le groupe ne souhaiterait jamais exploiter ?
Même si on n’a pas de règles prédéfinies, il y a sûrement une limite invisible à ne pas dépasser et qui nous contient lors de la composition d’un album. Nous savons en quoi consiste l’identité musicale de LACUNA COIL, et on ne souhaite pas la trahir. C’est comme si tu détenais la recette parfaite des pâtes à la carbonara et que tu décidais d’y ajouter des fraises, histoire d’être original ! Ça ne le fait pas. En plus, on a des goûts musicaux relativement similaires dans le groupe, et on sait quels éléments peuvent enrichir LACUNA COIL.
Tu parlais des rôles que tu joues dans l’album, et il s’avère que le groupe porte des costumes et du maquillage sur scène depuis quelques années, ce qui constitue une grande évolution visuellement parlant, par rapport à vos débuts !
Tout a commencé avec la préparation pour la tournée du 20e anniversaire. Pour les concerts de l’ère « Delirium » (2016), on avait déjà commencé à tacher nos vêtements de sang, dans la mesure où on jouait les patients d’un asile fictif. Par la suite, ça nous plaisait tellement qu’on s’est mis à rajouter de plus en plus de peinture… On a compris à quel point on aimait se sentir différents pendant nos performances. Le fait même de monter sur scène nous plonge dans un état d’esprit différent, mais en y ajoutant les costumes appropriés, on se sent d’autant plus valorisés.
Je n’aurais pas cette impression de « tout » si je montais sur scène en tenue de yoga… Pour moi, il s’agirait presque d’un manque de respect envers le public. Certes, on joue et on chante : mais si on peut apporter un petit plus visuel, quelque chose d’un peu théâtral, c’est mieux !
J’imagine que vous avez aussi découvert les joies du démaquillage à la fin de chaque concert !
Carrément ! C’est encore plus pénible pour les gars, qui en sont recouverts. Mon maquillage est relativement classique, mis à part les deux lignes rouges sur le visage…
En janvier 2019, pendant le concert spécial anniversaire à Londres, vous avez mis à l’honneur toute votre discographie, y compris les premiers albums. Cela a-t-il influencé votre manière d’aborder « Black Anima » ?
Pas vraiment, même si on a dû changer d’approche. C’était étrange de passer de « Delirium » à la tournée anniversaire, en plus d’ajouter les costumes. On a dû réarranger certains morceaux qui n’existaient qu’en version analogique. En plus, à l’époque, on avait deux guitares, contre une aujourd’hui. C’était un bon exercice pour nous, mais cela n’a en rien influencé la composition de « Black Anima ». C’est comme si nous avions terminé un livre et qu’on en commençait un nouveau.
En parlant de livres, vous avez récemment sorti votre autobiographie. Cela a-t-il représenté beaucoup de travail de votre part ?
Oui ! (Rires) On s’est vraiment fait chier pour rassembler toutes les archives… Bien sûr, on n’a pas eu de problème pour ressortir des documents récents, puisque tout était sur nos ordinateurs. En revanche, à nos débuts, on n’avait ni téléphone, ni ordinateur, ni… rien ! (Rires) On a retrouvé quelques photos développées, mais sans leur auteur, on ne pouvait pas se permettre de les inclure. Malgré tout, on avait énormément d’archives à exploiter : des esquisses de logos, des vieux flyers de concerts… Dans tous les cas, nous sommes parvenus à raconter notre histoire. Il manque probablement quelques détails. Ce n’est pas évident de condenser 20 ans en un seul livre ! Mais je pense qu’on a réussi à produire un bel objet.
Est-ce que vous êtes tombés sur des choses embarrassantes, ou que vous aviez complètement oubliées ?
Oui, bien sûr ! (Rires) Mais ça ne servait à rien d’inclure des trucs choquants exprès, du style « Regardez ! Là, on a fait une fête de sauvages dans le tour bus… »… Même si clairement, c’est arrivé ! (Rires)
Fait intéressant : la personne qui s’est occupé des interviews nous a questionnés séparément. Quand mon tour est arrivé, il lui arrivait de me dire : « Andrea vient de me parler de la fois où tu as fait ci, et ça ! ». D’un seul coup, tout me revenait ! C’était sympa de revenir sur tous ces souvenirs. Une chance que les autres aient une meilleure mémoire que moi…
Marco Coti Zelati
Que symbolise le livre rouge très central sur vos nouvelles photos promotionnelles ?
On a mis en commun des idées et des images de choses qu’on aimait bien. C’est Marco qui a élaboré ce qu’on voit sur la pochette de l’album. Il s’est inspiré de l’emblème de Milan, qui représente un serpent en train de dévorer un enfant… Bienvenue à Milan ! (Rires)
Il y a ajouté quelques éléments, comme les trois serpents tout autour, et si on regarde de plus près, on voit notre logo au centre.
Marco a ensuite confié son travail à un artiste américain du nom de Micah Ulrich. Il s’est également occupé du jeu de tarot inclus dans la version limitée de l’album, qui a la forme d’un livre photo. Chaque carte est connectée à un titre.
C’était beaucoup de travail, et on voulait vraiment que « Black Anima » soit pensé comme un livre. Mais on ne voulait pas forcément avoir un livre noir. On s’est donc rendus dans une librairie, et parmi tout un tas de livres, on est tombés sur ce livre rouge, qui nous a vraiment plu. On l’a personnalisé et ajouté le symbole qu’un ami nous avait imprimés en 3D.
On voit aussi le cœur rouge vif poignardé dans tes mains. Y a-t-il un sens caché ?
Certains morceaux peuvent s’y rapporter, comme Veneficium, dont les paroles traitent d’une relation toxique. C’était un bon accessoire pour l’illustrer, mais il peut aussi symboliser la nature humaine.
Le tarot était également une idée de Micah ?
En fait, c’est nous qui en avons eu l’idée ! On lui a juste indiqué le nom de chaque carte avant qu’il y apporte sa touche personnelle. A la base, on l’a contacté par Internet, car son style nous a vraiment parlé. Il s’avère que c’est un grand fan de LACUNA COIL, donc il était ravi de travailler avec nous ! La même chose s’est produite avec notre photographe (Elena Cunene Zanotti, ndlr). Tout était lié : on ne se connaissait pas, Internet nous a unis, et on était fans du travail de l’autre ! (Rires)
Et pourquoi partir sur l’idée d’un tarot ?
On souhaitait quelque chose de plus « ésotérique », et même si on ne s’intéresse pas vraiment à la lecture des cartes, on a toujours aimé l’imaginaire tout autour. On y a donc apposé notre style pour créer un véritable jeu de cartes « LACUNA COIL ». On appelle ça « tarot », mais il n’y a pas les mêmes chiffres, ni les mêmes noms sur les cartes.
En 2013, tu as contribué pour la première fois à un album d’AYREON, « The Theory Of Everything ». Avant cela, Arjen Lucassen t’avait déjà approchée pour te proposer de participer. De quel album s’agissait-il à l’époque ?
Honnêtement, je ne me souviens pas du tout ! Je n’ai jamais vraiment suivi la carrière d’Arjen, et je ne connais pas les noms des albums. En fait, on s’était croisés il y a des années de cela dans les loges d’un concert, où on avait envisagé l’idée sur le moment. Mais les années sont passées, et on a sûrement été tous les deux bien occupés entre-temps… Il n’y avait donc rien eu de concret.
Quand il m’a contactée, c’était un réel honneur. Arjen est vraiment un génie, qu’on n’aime sa musique ou pas. C’est vraiment incroyable de pouvoir créer quelque chose d’aussi monumental et de parvenir à mettre en commun les différentes performances ! C’est quelqu’un d’impressionnant et d’extrêmement talentueux, et en plus, il est vraiment adorable, très tranquille et réservé. Ça ne l’intéresse pas d’être sous les projecteurs… Tout ce qu’il veut, c’est composer.
Arjen Lucassen et Cristina
J’y suis donc allée une journée pour enregistrer mes parties de chant. C’était un défi, dans la mesure où il n’est pas évident d’interpréter quelque chose qu’on n’a pas écrit soi-même. La voix est un instrument à part, et il arrive que je ne reconnaisse pas ma voix, ou que ça sonne bizarre, surtout quand on est habitués à entendre sa voix produite de telle ou telle manière… Mais il est intéressant d’interpréter le travail de quelqu’un d’autre afin d’avoir un autre angle, un autre point de vue.
C’est aussi ce qui est arrivé avec ma participation au dernier album de Tarja. Les lignes de chant étaient écrites au préalable, et j’ai eu l’opportunité de chanter sur quelque chose d’inhabituel pour moi, dans un style de musique différent…
Comment la collaboration avec Tarja s’est-elle faite ?
On s’était déjà rencontrées il y a longtemps, lors d’un événement au Royaume-Uni, je crois… On a vite accroché, et on est resté en contact pendant tout ce temps. On a souvent abordé la question d’une collaboration, et on a même envisagé la création d’un projet de supergroup féminin… Ça ne s’est encore jamais fait, à cause des emplois du temps des unes et des autres. En plus, on ne veut pas se lancer là dedans juste pour l’aspect « business » de la chose… Finalement, elle m’a proposé de participer à son album. Et je n’ai pas hésité une seconde ! J’ai donc fait une pause sur la réalisation de « Black Anima » pour enregistrer le titre, aidée de Marco.
Dans la vie de tous les jours, tu arbores un style excentrique, ce que beaucoup de gens n’osent pas faire. Qu’est-ce qui, selon toi, nous bloque tant à nous exprimer à travers notre style vestimentaire ?
Je pense que dans notre société actuelle, c’est encore pire ! Tout le monde a peur d’être jugé. C’est aussi ça, les réseaux sociaux : les gens ont leur mot à dire et se sentent obligés de donner leur opinion, même s’ils ne sont pas les mieux placés. Tout ce qui est dit peut être utilisé contre toi, et toutes les actions sont jugées. Certains d’entre nous sont suffisamment forts pour réagir à cette mouvance et ignorer l’opinion des autres, parce qu’il ne s’agit ni d’un proche, ni de quelqu’un d’important.
Hélas, d’autres sont plus fragiles. Ils souffrent d’être constamment jugés, et pour éviter que cela se produise, ils se contentent d’incarner des clichés normatifs leur permettant de se sentir à l’abri de toute attaque. Ou bien alors, il se peut tout simplement qu’être un tantinet excentrique ne les intéresse pas ! (Rires)
Tu es une grande fan de Star Wars : qu’est-ce que tu penses des derniers films ?
J’ai vu les teasers du prochain film, mais je n’ai pas vu « Solo ». Je n’ai pas aimé les premiers Disney : il y avait trop d’images de synthèse à mon goût. Heureusement, c’est bien moins le cas sur le dernier, où ils sont revenus à des effets spéciaux à l’ancienne, même si ça reste de meilleure qualité que ceux des années 1980… Il n’empêche que je reste attachée aux originaux et à cette atmosphère qui ne peut pas vraiment être restituée dans les nouveaux. Et je demeure une fan invétérée des premiers Storm Troopers. Je déteste les nouveaux, et je n’y adhérerai jamais ! Mais c’est un tel classique, on sera toujours content, quoiqu’il arrive.