La distance géographique et la logistique n’auront pas empêché SIRENIA à produire le successeur de « Arcane Astral Aeons » (2018) : le groupe de metal symphonique de Morten Veland revient en effet en 2021 avec « Riddles, Ruins & Revelations », en dépit des difficultés rencontrées qui auraient pu nuire à la production. Le créateur du groupe et la chanteuse Emmanuelle Zoldan nous expliquent tout !
Suite à l’annulation des tournées, comment s’est organisé l’année 2020 pour vous ?
Morten – J’ai passé le plus clair de mon temps à composer. Au départ, l’enregistrement de « Riddles, Ruins & Revelations » était prévu en Mars, mais on a dû attendre jusqu’au mois d’Août. Bien sûr, cela m’a laissé plus de temps pour écrire et expérimenter…
Emma – C’était très dur, autant d’un point de vue humain qu’artistique. On s’est vu privé de scène et de contact avec le public… C’était quelque chose de nouveau, et donc de difficile à gérer. Mais ça a été aussi l’occasion de se replier un peu plus sur soi, de se poser les bonnes questions, de faire des projets…
L’année dernière, seul le Festival des châteaux de Bruniquel, où j’ai interprété le rôle-titre de La Grande Duchesse de Gerolstein (par Offenbach), a été maintenu. Ça nous a fait beaucoup de bien à tous de reprendre la scène, et même si c’était bizarre de jouer devant un public moitié moins nombreux et masqué, c’était mieux que de ne pas jouer du tout.
À côté de ça, j’ai notamment été invitée à participer au VIVALDI METAL PROJECT, j’ai collaboré avec un ami à moi pour un projet hip hop, et je travaille actuellement sur mon EP solo, que j’espère sortir d’ici 2022 !
Finalement, vous êtes quand même parvenus à avancer et à achever l’album en pleine pandémie. Ça a dû être un sacré challenge !
Morten – Oui, c’était assez compliqué. Emmanuelle et moi avons enregistré depuis mon « homestudio », en Norvège. Nils a également enregistré ses parties guitare à domicile, et Michael a pu profiter d’un studio en Finlande en ce qui concerne les parties batterie. Nos plans ont quelque peu changé comparé aux albums précédents, mais je suis vraiment content qu’on ait pu y arriver.
Emma – Jusqu’à la dernière minute, on était dans l’incertitude quant à ma venue en Norvège. Le consulat devait me dire si oui ou non je pourrais voyager… Finalement, ça s’est fait, et même s’il a fallu rester confinée pour les quatorze jours de quarantaine obligatoire, on en a profité pour bien travailler tous les deux. Mais compte tenu de la situation, je ne pouvais pas aller me balader pour visiter les alentours !
C’était d’ailleurs la première fois que vous n’avez pas pu vous rendre à Marseille pour enregistrer ?
Morten – Oui, c’était devenu une tradition. En plus, le propriétaire du studio, qui est norvégien aussi, est un ami à moi. J’adore passer du temps là-bas ! Son studio, qui est situé un peu à l’extérieur de Marseille, est vraiment agréable : il y a un jardin, une grande piscine… En somme, un cadre de travail idéal. J’ai d’autres amis qui vivent dans les environs, et le temps y est magnifique. Là forcément, ça m’a manqué, et j’espère qu’on pourra s’y rendre pour le prochain album.
Cela voulait aussi dire vous passer du « Sirenian Choir » qui vous accompagne depuis le début, et qui a été remplacé par des chœurs grégoriens synthétiques sur certains compos’…
On adore les chœurs, et quand on a commencé en 2000/2001, c’était assez rare d’en entendre dans le metal. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus répandu, et c’est aussi pourquoi j’ai tenté autre chose. Mais je regrette aussi un peu nos chœurs habituels… On travaillera de nouveau avec eux quand tout cela sera derrière nous : ils représentent un ingrédient important dans nos morceaux.
En plus des chœurs grégoriens que tu mentionnes, un autre moyen pour pallier le problème a été de superposer plusieurs lignes de chant lyrique interprétées par Emmanuelle pour former un chœur lyrique féminin.
Emma – C’était une grosse frustration de ne pas retrouver mes collègues du classique à Marseille, et il est vrai que ce chœur fait partie de l’identité de SIRENIA : c’est quasiment les mêmes personnes qui le composent depuis 2003. J’en ai un petit pincement au cœur, et je trouve aussi que ça manque sur cet album. Mais on a dû s’adapter, et c’était l’occasion d’approfondir une démarche esthétique différente.
Morten, tu dis que le studio de ton ami est excentré. T’es-tu déjà rendu dans le centre-ville même de Marseille ?
Morten – Oui, plusieurs fois ! Si on cumule toutes les visites, j’ai dû passer plus d’une année entière à Marseille. J’aime beaucoup le côté ancien et historique de cette ville, avec le Vieux Port et le fort Saint-Jean. En plus, on y trouve d’excellents restaurants de fruits de mer, du bon vin… J’ai aussi visité Aix-en-Provence (autre ville majeure des Bouches-du-Rhône, ndlr), qui est plus « cosy ». J’aime bien me balader dans ses petites ruelles, et je me souviens aussi de deux ou trois bars metal très sympa…
Comment êtes-vous parvenus à mettre en place le clip pour Addiction n°1 sans vous réunir ?
Emma – Encore une fois, ça a été très compliqué ! Au dernier moment, le tournage en Serbie a été annulé, sauf qu’on avait des « deadlines » à respecter vis-à-vis de la maison de disques…
Morten – On s’est demandé si on allait réussir à produire quelque chose de professionnel à distance. Si Nils et Michael ont tous deux trouvé un plateau de tournage près de chez eux, Emmanuelle et moi avons dû faire ça depuis chez nous. Pour ma part, j’ai dû m’équiper et acheter le nécessaire. J’étais sceptique au début, mais j’ai finalement été surpris par la qualité du résultat final. Ça fait vraiment professionnel !
Emma – Je suis aussi très admirative du travail fourni : les producteurs en Serbie ont reçu des « rushs » provenant de différentes caméras, avec des lumières de qualité différentes… Malgré tout, ils ont réussi à faire quelque chose d’hyper pro et naturel.
Morten – La pandémie nous a forcés à faire preuve d’imagination et au final, je suis très content de ce qu’on est parvenus à accomplir, étant donné les circonstances.
Que signifie le « n°1 » dans Addiction n°1 ?
Certaines personnes doivent faire face à une addiction majeure, que ce soit les jeux d’argent, l’alcool, la drogue… C’est en tout cas ce que je constate autour de moi, dans le cercle familial et amical, et surtout dans le milieu de la musique. C’est un sujet qui me tient à cœur, et je pense que pas mal de gens peuvent s’identifier à cela, de près ou de loin.
Dirais-tu que les sujets abordés dans « Riddles, Ruins & Revelations » sont dans l’ensemble plus sombres ?
Tout à fait. C’est même les paroles les plus sombres que j’ai jamais écrites ! Paradoxalement, certaines parties instrumentales sont pleines d’énergie et lumineuses. L’atmosphère varie assez d’un morceau à l’autre.
J’ai d’ailleurs été surprise du caractère bien plus moderne, accrocheur et électro de cet album !
À chaque fois que je m’attelle à un nouvel album, je me lance dans des expérimentations, et je recherche une nouvelle approche. J’ai investi dans du nouveau matos, je me suis amusé à tester les synthés et à créer des sons nouveaux… Cette tendance plus électronique m’est venue naturellement, et il est vrai qu’elle est plus présente que jamais chez SIRENIA. Ceci étant dit, les éléments electro ont toujours fait partie de notre univers, et ce dès notre tout premier album « At Sixes And Sevens » (2001).
Même le chant est moins lyrique, mais encore plus diversifié, puissant et libéré que sur les deux albums précédents. Est-ce justement lié à cette nouvelle approche ?
Emma – Tout à fait. Il est vrai que les interventions lyriques sont à dose homéopathique par rapport aux albums précédents, mais elles ne se prêtaient pas forcément à tous les titres. À chaque nouvelle sortie, j’ai l’impression de me reconnaître encore plus que sur les albums précédents, et « Riddles, Ruins & Revelations » ne déroge pas à la règle. J’aime beaucoup ce côté moderne, même si certains ne nous attendaient pas là… Mais le plus difficile n’est pas de sortir un disque, c’est de perdurer dans le temps quel que soit le style, et pour cela, il faut sortir de sa zone de confort. Autrement, on s’ennuie très vite ! (Rires)
Joachim Næss participe de nouveau à un titre pour le chant masculin. N’a-t-il jamais été question de l’intégrer au groupe, ou du moins de trouver un chanteur masculin permanent pour SIRENIA ?
Morten – On y a déjà songé. Au départ, on voulait trouver un bassiste qui puisse également chanter, mais on n’a pas vraiment approfondi les recherches dans la mesure où on est satisfaits de la configuration actuelle. En plus, on n’est jamais tombé sur la personne idéale, et ce serait étrange d’intégrer Joachim vu la quantité très limitée de chant masculin dans nos compos’. Sans compter que les tournées, ce n’est pas son truc… (Rires)
Quand on a besoin d’un registre différent de celui de Joachim, on a recourt à d’autres chanteurs. D’ailleurs, sur « Arcane Astral Aeons », on a travaillé avec Yannis Papadopoulos (BEAST IN BLACK) pour des parties de chant aigu et Østen V. Bergøy (ex-TRISTANIA) pour du chant au contraire très grave. Et sur scène, c’est Nils qui se charge des parties de chant masculin.
La chose la plus inattendue sur « Riddles » a été de retrouver la reprise de Voyage Voyage par Desireless, « hit » bien connu des Français !
En fait, je connais ce morceau depuis sa sortie, en 1986. Je devais avoir 9 ans à l’époque. Le titre a cartonné dans une bonne partie de l’Europe, et notamment en Norvège où il a atteint le sommet des charts ! On l’entendait tout le temps à la radio et à la télé. Je me souviens avoir été captivé par cette chanson. Même si c’est de la pure pop des années 1980, il y a aussi une certaine mélancolie qui s’en dégage…
Emma – Quand on s’est rencontrés, l’une des premières choses qu’il a évoquées était Voyage, Voyage. Il s’est passé la même chose avec Nils, qui est français aussi. Ça nous faisait beaucoup rire parce que même si on aime bien la chanson, il y a d’autres choses qui constituent le patrimoine musical français… (Rires)
Morten – Je n’ai jamais cessé de l’écouter, surtout en tournée ! C’est devenu un incontournable des « after » dans le bus, et notre ingé-son la lance aussi pendant le démontage de la scène. J’ai fini par aborder l’idée d’une reprise avec le groupe. Ils pensaient que je plaisantais, mais j’étais on ne peut plus sérieux ! (Rires) J’avais déjà réfléchi aux arrangements que j’y apporterais pour en faire un morceau de SIRENIA – c’est d’ailleurs la première chose à laquelle je me suis attelé en Mars. Quand j’ai envoyé la démo aux autres, ils étaient plutôt enthousiastes, même s’ils ont émis des doutes et n’étaient pas sûrs que le morceau nous convienne vraiment… On a donc attendu qu’Emmanuelle chante dessus pour voir ce que ça donnait, et tout le monde a adoré le résultat ! Je trouve que sa voix convient parfaitement au titre.
Emma – En fait, il était difficile de se l’imaginer en version metal symphonique au départ… Mais ce qui était une blague entre nous a fini par donner un résultat pas dégueu’ du tout !
Emma, tu apparais dès « An Elixir For Existence » (2003) en tant que backing singer. Toutefois, il a fallu attendre 2016 pour que tu deviennes la chanteuse lead du groupe. Te rappelles-tu cette époque ? Il me semble que Morten voulait déjà te proposer le poste à ce moment-là…
Ce qu’il faut savoir, c’est que je suis issue au départ du milieu rock ! L’opéra a un peu été un accident de parcours : je souhaitais intégrer le conservatoire pour apprendre à chanter correctement, mais ils n’avaient de la place qu’en chant lyrique… C’était un hasard total, et je n’avais jamais entendu d’opéra auparavant. Finalement, ça a plutôt bien marché pour moi, et ma carrière dans le classique a démarré. Mais j’avais un peu délaissé mes premières amours !
Au début des années 2000, on m’a proposé d’enregistrer dans un studio norvégien basé dans le Sud de la France. C’est comme ça que j’ai pu travailler avec TRAIL OF TEARS, TURISAS… Et quand j’y ai rencontré Morten, il y a plus de dix-huit ans de cela, il ne savait rien de mon parcours : pour lui, je me consacrais entièrement au classique, et il était sûr que je refuserais de les rejoindre de façon permanente. C’est bien des années après qu’on s’est rendu compte de nos influences communes.
Ceci dit, s’il m’avait posé la question en 2003, je n’aurais peut-être pas accepté dans la mesure où ma carrière dans le classique décollait à peine et que c’est un milieu assez sectaire où on n’aime pas trop que les chanteurs soient polyvalents… En 2016, j’avais fait un peu le tour du classique et je souhaitais revenir à mes racines. Avec la maturité, j’ai fini par assumer et faire ce que j’avais envie. C’était le bon moment ! (Rires)
Tout à l’heure, nous avons abordé le tout premier album « At Sixes And Sevens », qui fête ses 20 ans en 2021. Avez-vous prévu de célébrer cet événement de quelque manière que ce soit ?
Morten – On avait quelques idées, mais avec cette histoire de pandémie, tout a été reporté ou annulé, et je dois t’avouer que c’est fatigant de voir ses plans tomber à l’eau… (Rires) Néanmoins, il n’est pas impossible qu’on songe à une ressortie. Dans tous les cas, ce serait super de marquer le coup. 20 ans et 10 albums, ce n’est pas rien… Je me demande où tout ce temps est passé !