Avec un certain nombre de changements effectués entre chaque sortie, notamment au niveau du style et du rendu sonore, sans parler du fait qu’il soit généralement moins évident, au fil des années, de bien cerner le but de leurs compos’, on pourrait penser que SONATA ARCTICA persiste à questionner sa propre identité, en dépit de ses (plus de) vingt ans d’ancienneté. Pourtant, à l’aube de la sortie de « Talviyö » (disponible le 6 septembre prochain), le chanteur et leader Tony Kakko paraît plus fixé que jamais sur ce point. C’est en tout cas ce que les propos du sympathique Finlandais lors de sa tournée promotionnelle semblent refléter…
« Talviyö » n’a rien d’une compilation d’hymnes, comme pouvait l’être « Pariah’s Child » (2014), ou même, dans une certaine mesure, « The Ninth Hour » (2017). Pourtant, lors de notre dernier entretien, tu expliquais que tu composais dans l’optique de faire bouger les foules… Qu’est-ce qui a changé entre temps ?
L’évolution s’est faite très naturellement : je me contente toujours d’écrire la musique comme elle me vient, sans trop réfléchir. Quand j’ai onze ou douze titres en ma possession, je prends soin d’établir une cohérence entre eux. S’il y en a un qui fait tâche, je le retire et je m’efforce de le remplacer par un autre.
Suite à quoi, je fais écouter ces titres au groupe, et à partir de là, on a tout le loisir de les modifier. Si une chanson sonne mieux en tant que ballade, rien ne nous empêche de la moduler : dans la mesure où elles sont toutes mélodiques, il nous faut juste trouver la manière de les mettre en valeur.
J’imagine que mon approche a évolué. Il faut dire que je suis plus âgé, maintenant… (Rires) Je ne veux pas être enchaîné à quoi que ce soit, pas même à mes propres idées.
Le communiqué officiel met l’accent sur trois phases différentes dans l’histoire de SONATA ARCTICA : la première démarre bien entendu avec « Ecliptica » (1999) pour se terminer avec « Reckoning Night » (2004) ; la deuxième va d’« Unia » (2007) à « Stones Grow Her Name » (2012), et nous nous trouvons actuellement dans la troisième phase, commencée avec « Pariah’s Child ». Comment définirais-tu chacune de ces phases avec le recul ?
La première phase peut aussi s’arrêter à « Winterheart’s Guild » (2003), dans la mesure où « Reckoning Night » présentait déjà des aspects qui ont ensuite été approfondis dans « Unia »… Mais restons néanmoins sur les quatre premiers albums : bien entendu, c’est sur eux que nous avons construit notre carrière et gagné en notoriété. Pour beaucoup, certains morceaux extraits de cette phase sont devenus cultes, et il est clair que continuer à faire du power metal aurait été le choix le plus judicieux et le plus profitable financièrement parlant.
Certains pensent que notre revirement de style a été un suicide financier… Mais en perdant cette force commerciale, on a gagné en épanouissement. Du moins, c’est comme ça que je le ressens en tant que compositeur.
Je me souviens avoir pensé : « Le power metal, ce n’est pas vraiment mon truc ! », même si j’ai eu ma période power, et que c’est justement à cette époque que nous avons décroché un contrat d’enregistrement. Si cela s’était produit cinq ans plus tard, tout aurait été différent ! Je pense qu’on aurait décroché un tout autre type de contrat.
Quoiqu’il en soit, je suis très satisfait de ces quatre albums et de ce qu’ils nous ont apporté. A vrai dire, sur « Ecliptica », on n’a pas que du power metal, et c’est d’autant plus le cas pour les deuxième et troisième albums, qui présentaient un spectre musical plus large.
Ceci nous amène à la deuxième phase, regroupant sans surprise « Unia », « Days Of Grays » (2009) et « Stones Grow Her Name » : sur ces albums, on s’est bien éparpillés ! C’est comme si, sur les quatre premiers, on avait pris l’autoroute, avant d’emprunter sur les trois suivants un détour tortueux par les collines, pour finalement regagner la voie rapide à partir de « Pariah’s Child ».
Onsent bien que les trois derniers albums, qui constituent la troisième phase, sont cohérents, et qu’on ne s’égare plus.
Il y aurait donc de fortes chances pour que le prochain album soit le début d’une nouvelle ère ?
Au contraire : je suis suffisamment avisé (et âgé !) pour ne plus me lancer dans un nouveau détour ! Si je ressens de nouveau le besoin de partir dans tous les sens, je réserverai ça pour mon « projet thérapeutique »…
Ce qu’il faut savoir, c’est que le son actuel de SONATA ARCTICA est très proche de ce que le groupe faisait au tout début, bien avant de sortir des albums : quand nous avons commencé, en 1995, la musique qu’on écrivait était bien plus apparentée à ce que nous écrivons actuellement qu’à ce qu’on a sur « Ecliptica » ! Comme je le disais, mon coup de cœur pour le power metal en 1997 avec le « Visions » de STRATOVARIUS nous a valu d’emprunter cette voie et d’écrire des morceaux dans ce style. Mais en vérité, c’était purement accidentel ! (Rires). Et c’est comme ça que nous avons signé chez Spinefarm pour trois albums…
En un sens, la boucle est bouclée. On s’est perdus dans l’espace, et nous avons atterri sur la même planète où tout a commencé ! (Rires) C’est la raison pour laquelle je ne vois pas l’intérêt de nous perdre à nouveau dans des chemins tortueux… Pour moi, il est impossible que le prochain album soit radicalement différent des derniers. J’ai toute confiance en ce que nous proposons aujourd’hui, et j’en suis très satisfait.
Tu as mentionné un « projet thérapeutique » : cela fait plusieurs années que tu évoques l’idée d’un projet en solo… Va-t-il finalement aboutir ?
Je sais que je veux faire quelque chose à côté de SONATA depuis 2000, donc, depuis le début ! C’est d’ailleurs en accord avec ce que je te disais plus tôt, puisque musicalement, nous n’étions pas supposé emprunter cette voie qui a été la nôtre pendant les années suivantes.
J’ai beaucoup de contenu pour mon projet « thérapie », et je ne veux pas qu’il ait quoique ce soit à voir avec SONATA ARCTICA, surtout pas de dates butoir, de concerts… (Rires) Je ne suis même pas sûr de me positionner au chant. En plus, j’ai le droit d’y être aussi bizarre que je veux !
Les morceaux seront également plus lents, toujours très mélodiques, mais il s’agira d’un concept, avec un autre type de paroles.
A savoir, Who Failed The Most dans « Talviyö » était destiné à mon projet solo… A l’origine, c’était une ballade au tempo bien plus lent, mais je n’en avais pas réellement besoin dans le cadre de mon projet, et elle n’était pas tout à fait en accord avec les autres morceaux composés. Donc c’était plutôt pas mal de la mettre en lumière. Je suis assez satisfait du résultat final…
On y trouve justement quelques références intéressantes dans le refrain, comme « the master of puppets » et « lord of the rings »…
Oui, et cela fait référence à la politique, dans le sens où, pour moi, les gens devraient aller voter pour les personnes qu’ils jugent vraiment aptes à gouverner et à prendre les bonnes décisions, pour eux comme pour leurs enfants…
Vous avez confié la production à Mikko Tegelman pour « Talviyö ». Pourquoi ce changement ?
Sur nos deux derniers albums, c’était Pasi, notre bassiste, qui s’occupait du mix dans son propre studio. Mais c’était trop de pression pour lui… On souhaitait aussi restaurer le son de nos concerts en studio. Mikko devait déjà se charger du mix de « The Ninth Hour » (2017), mais ça aurait été trop compliqué, c’est pourquoi on l’avait fait nous-mêmes.
Cette fois, les morceaux étaient prêts dès l’été dernier, donc on a pu les lui présenter dès septembre. Il a travaillé avec une multitude de groupes, comme TAROT. Mikko était le mieux placé afin de reproduire notre son live.
La première chose qu’il a suggérée, c’était qu’on joue les morceaux en direct : ainsi, la basse, la batterie, et quelques parties de guitares ont été enregistrées en même temps, dans la même pièce. Des regards sont échangés entre les musiciens, et ils se permettent quelques impros’, d’où l’impression très organique qui en ressort.
En ce sens, je pense que l’album vieillira bien mieux que les précédents. Aujourd’hui, les groupes enregistrent de plus en plus en direct pour retrouver la saveur des vieux albums, à l’instar de GHOST, que j’apprécie beaucoup.
Cela a été aussi le cas pour l’enregistrement des voix ?
Oh non ! (Rires) J’en ai enregistré une partie au Studio 57, et le reste dans mon home studio. Cela vaut aussi pour les orchestrations, les claviers et les arrangements.
Revenons à la tournée de 2017. La setlist contenait des morceaux qui n’avaient plus été joués depuis longtemps, comme Gravenimage. Hélas, elle est coupée après l’intro… Pourquoi choisir de ne pas la jouer en entier ?
Je ne sais plus exactement… Peut-être dans un souci de faire un medley, d’inclure plus de morceaux dans la setlist, ou de rendre le tout plus dynamique… C’est marrant que tu en parles, parce qu’on a répété la chanson en entier pour certains festivals ! Donc pourquoi pas la jouer avant la sortie de l’album en septembre…
Personnellement, j’aime bien plus la version altérée : elle est plus douce, et l’accent est mis sur les mélodies. Je ne suis pas si fan de la façon dont ça s’emballe par la suite…
Comment s’est déroulé le Hellfest pour vous cette année ?
C’était génial ! Tout est si bien organisé. De mon point de vue d’artiste, tout était fluide, facile, la nourriture était bonne… En un mot, parfait.
Sur scène, tu arborais un gilet reprenant les paroles du morceau The End Of This Chapter, extrait de « Silence » (2001), à savoir : « Oui, oui, mon amour. C’est moi ». C’était un clin d’œil au public français ?
On avait déjà proposé ce « design » lors d’une de nos tournées l’année passée, quand nous avons joué la saga « Caleb » en entier. Pour moi, il s’agit d’un des plus beaux articles de notre boutique, et comme il est blanc, il ressort parmi tous les t-shirts noirs des metalleux… Mais non, ce n’était pas fait exprès. J’ai juste piqué ça dans notre stock sur le moment ! Ca me permet aussi de porter quelque chose de suffisamment chaud quand on joue en plein air, au milieu de la nuit… Mais pour le coup, au Hellfest, on étouffait ! (Rires)
Il y a cinq ans, tu me parlais de ton intérêt pour Devin Townsend. As-tu écouté son dernier album, « Empath » ?
Bien sûr ! Il est excellent. Il commence avec des chansons magnifiques, la production est parfaite… On finit l’écoute complètement scotché ! Je pourrais l’écouter cinq fois d’affilée et avoir encore une multitude d’ingrédients à découvrir, tant il est impossible de tout digérer d’un coup. Les oreilles et le cerveau en sont complètement secoués ! (Rires)
Pour terminer, si tu n’étais pas un musicien, quelle profession exercerais-tu ?
Quand SONATA ARCTICA est né, j’étais étudiant en polytechnique, spécialisé dans l’édition de vidéos. Je n’ai jamais terminé l’école, mais sans le groupe, j’aurais probablement fini dans ce domaine, que ce soit par le biais de la télévision ou autre.
A part ça, j’adorerais travailler dans la menuiserie. Je regarde plein de vidéos où des gens extrêmement talentueux font des merveilles en travaillant le bois. C’est une activité qui, je pense, m’apporterait calme et sérénité. En plus, c’est indispensable d’avoir ce type d’activité relaxante quand on a la tête dans le guidon… Cela me rendrait heureux, j’en suis sûr !